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Kids Riding Horses

AU GALOP ... ENTRE QUATRE MURS

20 mai 2020

Reportage sur la situation des centres équestres pendant le confinement : un secteur déjà touché de plein fouet par la crise économique pourra t-il se relever de la crise sanitaire ?

Les centres équestres pendant le confinement: News

Les quelque 8 000 centres équestres français sont fermés depuis l’annonce d’Edouard Philippe, le 14 mars, de la fermeture de tout les lieux publics « non essentiels à la nation ». Pourtant, le soin des chevaux demande une présence humaine quotidienne... Si la déclaration présidentielle d’un déconfinement le 11 mai prochain redonne un peu d’espoir à cette économie, et autorise une reprise progressive de ses activités, se relever de la crise sera un long périple.

Les structures équestres ont des modes de fonctionnement différents selon leur nature : les écuries de propriétaires proposent d’héberger les chevaux de particuliers et de mettre à leur disposition des installations. On a aussi les centres de formation, accueillant sport-étude, BEPJPS ou autre, les centres équestres et poney club bien-sûr, ou encore des écuries de valorisation, de commerce et de concours à haut niveau. Tout ces types d’établissements hippiques ont des clientèles et des fonctionnements très distincts. Pourtant, certains centre équestres proposent des pensions pour les propriétaires, cumulant les deux responsabilités propres à ces structures. C’est le cas du Centre Equestre de Pouzay, en Indre et Loire (37), où le coronavirus et les conséquences économiques du confinement frappent déjà.

La pratique de l’équitation, troisième discipline sportive en France, répond à des caractéristiques propres. Evidement, les chevaux doivent être nourris et abreuvés tout les jours : une personne au moins est donc nécéssaire au bon fonctionnement de la structure. De plus, le bien être des chevaux dépend d’une activité physique minimum, et variable selon les individus : exactement comme les chiens, ou les humains. En dehors de cet exercice physique, l’entretien des dizaines, voire des centaines d’équidés présents dans les structures demande un travail colossal : soins, sorties au pré, nettoyage des boxes, surveillance très régulière des comportements de chacun, entretien des structures, travail monté ou longé ... De plus, la responsabilité de ces différentes tâches n’est pas forcément exclusivement celle du dirigeant ou du personnel : elle peut être celle des cavaliers (dans le cas des soins quotidiens des chevaux par exemple), ou celle des propriétaires.

Un manque de main d’oeuvre pour soigner les confinés

On imagine sans peine les problèmes que posent la fermeture complète des établissements équestres au public. Les centres équestres ne sont pas, globalement, des structures rentables : les dirigeants font donc très souvent appel à des élèves moniteurs, des stagiaires, des apprentis, des bénévoles, n’ayant pas forcément le budget d’engager des salariés. Alors que les soins des chevaux restent les mêmes qu’il n’y ait, ou pas, de cavaliers, les aides quotidiennes du public à l’entretien de la structure deviennent impossible. Ces tâches sont assurées par le personnel, seul à avoir accès aux structures depuis l’annonce du confinement, le 17 mars.

Est ce que les propriétaires peuvent aller visiter, monter, soigner leurs chevaux ? Cette question est d’abord restée en suspend. La Fédération Française d’équitation n’y
a pas directement répondu : elle a d’abord laissé aux dirigeants de structure une relative liberté de mouvement (« pour les équidés dits en pension, un accès raisonné doit être organisé par les dirigeants de structure » a t-elle annoncé dans un communiqué sur son site internet le 17 mars). Mais rapidement, le président de la fédération, Serge Lecomte, tranche. « Aucune adaptation n’est possible, chaque dirigeant d’établissement équestre doit fermer totalement sa structure au public, hormis pour son personnel. » annonce t-il dans un second communiqué de presse, deux jours plus tard.

Mais le personnel comprend t-il stagiaire et apprentis, force de travail plus que nécéssaire pour soigner les chevaux ? Certaines petites structures ne payent pas d’employés en plus du dirigeant : c’est le cas du centre équestre de Pouzay. D’après ce communiqué, seul le dirigeant peut se rendre sur les lieux, mais la charge de travail est monstrueuse pour un seul homme. Sa solution ? Mettre les trente chevaux et poneys au pré afin d’avoir juste à les nourrir. Seulement, les prés viennent à manquer, et ils ne sont pas équipés d’abris en cas d’intempéries.  Léonie, l’apprentie, est finalement autorisée à venir travailler sur la structure.

D’autre part, les locations de pré à des particulier ne comprennent pas toujours les soins quotidien (mise à disposition de foin, d’eau, etc). Les propriétaires des chevaux hébergés dans ce type de pension sont obligés d’aller soigner leur cheval : pourtant, plusieurs personnes témoignent s’être fait arrêter par les gendarmes et avoir payé une amende de 135 €. 

Des structures déjà fragilisées

Le centre équestre de Pouzay est une charmante ferme du XVII ème siècle, destinée à l’origine à l’élevage porcin. Le dirigeant, Pierre Joseph Méry, a acheté le centre équestre en 2006. A coup d’investissements et de travaux colossaux (nouvelles écuries, construction d’un manège et d’une seconde carrière), il a fait de cette petite ferme une structure polyvalente et fonctionnelle, sans toucher au charme des pierres d’origine et des vieux greniers à foin d’époque. Il propose aujourd’hui des cours collectifs ou particuliers d’équitation et de voltige, des balades, du coaching en concours et de la pension pour les chevaux de propriétaires. Le premier coup dur qui a fragilisé son exploitation était la hausse de la TVA pour les centres équestres, passant de 5,5 % à 19,5 %. Une loi européenne votée en 2011 qui augmentait de facto les prix, obligeant certains centres équestres à fermer, d’autre à réduire la largeur de leur cible, collant à la réputation de l’équitation comme d’un sport noble. Touché de plein fouet par les conséquences de cette loi, dont il peine à se remettre, mais aussi par le vieillissement de sa cavalerie, Pierre Joseph Méry surmonte les difficultés notamment grâce à l’aide de la monitrice de voltige, Sophie, l’apprentie Léonie, les stagiaires Léa et Fabien, ainsi que les cavaliers bénévoles. Mais aucun ne sont salariés : Sophie est indépendante, et les conventions de stages ont été suspendues jusqu’à nouvel ordre.

Si Pierre Joseph Méry était plutôt optimiste au début du confinement, l’annonce de l’allongement de celui-ci le désespère. Cet agriculteur de 41 ans a la peau tannée par le soleil et le travail au grand air : son air jovial des jours de mars a laissé place à un visage las et inquiet. Les structures équestre sont en crise depuis 2013. Le nombre de licenciés en équitation baisse depuis sept ans, une tendance accentuée par l’absence de promotion publicitaire de la FFE en 2019.

Au cout de l’entretien des structures et de la cavalerie du centre équestre de Pouzay s'ajoute le paiement du crédit pour le nouveau manège installé en 2016. Sans rentrée d’argent alors que la pleine saison (entre Pâques et septembre) vient à peine de commencer, l'entreprise est en difficulté. Malheureusement, son cas est loin d’être isolé : la situation des établissements hippiques en France tangue sur un fil de rasoir depuis plusieurs années. La crise sanitaire que nous vivons pourrait être un coup fatal pour cette économie.

Dans la semaine suivant le week-end pascal, le sort s’acharne. Une jument se blesse au box, et la facture du vétérinaire, appelé en urgence, s’élève à 450 euros. Cette jument doit se faire opérer du postérieur, une intervention dont le prix est compris entre 2000 et 2 500 euros. Quelques jours plus tard, Léonie découvre un abcès sur l’encolure d’un poney : là aussi, la facture du vétérinaire s’avère très salée. 

Quelques solutions

Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a annoncé dans un communiqué datant du jeudi 23 avril que ls propriétaires d’équidés sont à nouveau autorisés à rendre visite dans leurs centres équestres. Mais cette annonce soudaine reste floue : ce n’est possible que quand la structure n’est pas en mesure de parvenir aux besoins essentiels des chevaux (nourriture, soins et exercice physique). La fédération réagit en déplorant une annonce soudaine et sans concertation avec les dirigeants de structures.

Le gouvernement a quant à lui annoncé le 21 avril un accompagnement financier

des structures équestres, dans la continuité des aides financières destinées aux animaux confinés, dans les zoos, les refuges et les cirques. Les difficultés financières des agriculteurs pourront être ajournées par les mesures de délai de paiement des crédits. En effet, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a précisé que les entreprises pourront demander une suspension de crédit pendant le temps du confinement : une attention qui va dans la bonne direction, mais qui « n’en fait pas assez » d’après PJ. L’allocution du président Emmanuel Macron, qui fixe la date du déconfinement progressif au 11 mai, est porteuse d’un peu d’espoir.

Seulement, rien ne dit que la réouverture des écoles, collèges et lycées va entrainer la reprise des activités sportives. La fédération parle d’un plan progressif de reprise des activités équestres à partir de cette date, mais les modalités restent très floues. Le président du CDE (Centre Départemental de l’Enfance) de l’Ain (01), Jacques Marillet, demande à la FFE, dans une lettre ouverte publiée le lendemain de l’allocution présidentielle, d’autoriser la reprise des centres équestres pour « atténuer l’impact qu’a la crise du COVID19 sur notre activité. » Des mesures sanitaires de sécurité pourraient éventuellement être mises en place, propose cette lettre : la distanciation sociale en limitant le nombre de cavaliers par cours, l’adaptation du planning des sessions pour réduire les regroupements de personnes sur place au même moment ... Quant aux écuries de propriétaires, les dirigeants pourraient proposer un « planning ne permettant qu’à un seul propriétaire à la fois d’être présent sur la structure. » Ces propositions surviennent peu après une pétition soutenue par Jean-Pierre Vogel — sénateur de la Sarthe et président du Groupe Cheval au Sénat. Cette pétition demandant l’accès aux structures pour les propriétaires d’équidés a recueilli près de 60 000 signatures au 15 avril. Elle est adressée au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Didier Guillaume, ainsi qu’au Président de la République. Ailleurs en France, des aides financières sont mises en place pour les centres équestres en difficulté. Le CDE de la Manche (50) a quant à lui lancé une cagnotte Leetchi afin de « dépanner les centres équestres de notre région ».

Les initiatives individuelles ne sont pas en reste. Steven Brunet est un ancien moniteur du centre équestre de Pouzay. Il est parti monter sa propre affaire et a repris le centre équestre de Loudun (86) ainsi que l‘écurie d’Aulnay (86). Sur sa page Facebook, il a demandé de l’aide aux propriétaires de terres en herbe clôturé d’accueillir les poneys le temps du confinement. Les initiatives se sont multipliées et Steven a pu placer presque tout sa cavalerie chez des particuliers, mais aussi sur des terrains municipaux : les associations et la mairie lui ont prêté main forte.

D’autres cavaliers de haut niveau sont à l’origine de dons pour aider les centres équestre, à l’instar Pénélope Leprevost, championne de saut d’obstacle par équipe aux JO de Rio, et vice-championne du monde. Elle annonce sur un post Instagram datant du 20 avril avoir fait don de 50 tonnes de foin à destination des « structures équestres ne difficultés ». C’est aussi sur Instagram qu’elle annonce que la ligne de production de tapis de selle de sa marque PenelopeStore se consacre au conventionnement de masques pour combattre l’épidémie de coronavirus.

Un calendrier sportif complètement chamboulé

Le couperet tombe le 16 avril : l’édition 2020 du championnat de France d’équitation, le Generali Open de France, est annulé. Le rendez-vous annuel de tout les cavaliers amateurs et des clubs ne pourra pas se tenir cet été. Cette compétition est la clôture de la saison sportive : essentielle pour les commerciaux, qui y achètent ou vendent les chevaux, pour les cavaliers, les parents accompagnateurs et les organisateurs évidement, mais aussi pour les magasins spécialisés qui y vendent leur produits à prix cassés, mais qui finissent toujours par faire un bénéfice conséquent. Le championnat de France se tient tout les ans au parc équestre fédéral de Lamotte Beuvron, dans la région Centre. Prévu cette année du 4 au 26 juillet, le Generali Open de France rassemble plus de 500 000 visiteurs en audience cumulée, ainsi que 150 exposants. Les gagnants des championnats régionaux de plusieurs disciplines (CSO, dressage, complet, mais aussi voltige, équitation western et attelage) tentent de rafler les médailles dans les nombreuses épreuves. Son annulation soulève la question des cavaliers de la catégorie Poney, qui doivent avoir moins de 18 ans : ceux qui devaient courir leur dernière compétition dans cette catégorie en seront privés. Auront-ils un an de sursis en 2021 ?

Il est bien connu qu’en sport, avoir un objectif en tête est essentiel pour le mental d’un athlète. La perte de cet objectif de fin d’année plonge dans le désarroi les cavaliers et leurs coachs. Seulement, les compétitions étant annulées depuis mars, la préparation à cet objectif était de toute façon défaillante. C’est l’argument de Frédéric Morand, le commissaire général de l’événement au sein de la FFE. Dans un communiqué, il justifie le choix de l’annulation du Generali Open de France. « Cette année, quoi qu’il arrive dans les semaines à venir, les conditions n’étaient pas réunies pour permettre à ce rassemblement d’avoir lieu dans de bonnes conditions. Les cavaliers, leurs chevaux et poneys n’auraient pas eu assez de compétitions ensemble pour préparer sérieusement un championnat de France à cette date. » Il considère l’option du report comme non satisfaisante.

La FFE est la première perdante de l’annulation de compétitions : elle a perdu déjà plus de trois millions et demi de recette, le confinement étant de mise ne pleine saison sportive. Elle envisage d’organiser un autre événement de clôture de la saison, qui remplacerait la compétition de Lamotte. Tout dépendra des mesures annoncées par le gouvernement : la précaution est de mise. Cet événement serait destiné aux « clubs qui le souhaiterait » précise Sophie Dubourg, la directrice technique nationale de la FFE. Les cavaliers amateurs ne seront donc pas concernés.

A plus grande échelle, l’annonce du report des Jeux Olympiques de Tokyo à 2021 est aussi une perte d’objectif sportif pour les athlètes internationaux. Malgré tout, la FFE soutient cette décision du Comité International Olympique (CIO). En effet, l’annulation de toutes les compétitions sportives jusqu’au moins le 15 juillet rend impossible la mise en situation réelle pour les cavaliers olympiques. Pourtant, le confinement, et donc le travail des chevaux à domicile, pourrait être une aubaine pour une équitation plus saine. Prendre le temps de préparer physiquement et mentalement les chevaux, de travailler les plus jeunes, (souvent jetés sur les terrains de concours à 4 ans, c’est à dire à la moitié de leur croissance), reprendre les bases. Le temps s’arrête, une occasion de se concentrer sur le bien-être des chevaux.

Des projets lucratifs annulés

En juin 2019, le centre équestre de Pouzay a été le théâtre d’un meeting de voitures vintages : la première édition du VW Horse Party a été un succès. Des dizaines de voitures et de vans Volkswagen ont été exposés parmi les chevaux du centre équestre. Cet événement a attiré beaucoup de visiteurs, qui ont pu admirer les carrosseries, assister à un concert, caresser les chevaux, manger et boire à la buvette, et pour le plus jeunes d’entre eux, faire un baptême poney. Le soleil était au rendez vous, les visiteurs et les exposants aussi, ravis du cadre et de l’organisation, soutenue par les cavaliers bénévoles. Tout le monde s’est quitté en se disant « à l’année prochaine » ... Le centre équestre de Pouzay a récolté de nouveaux inscrits. La seconde édition devait se tenir en juin 2020, mais les récentes déclarations ont rendu impossible ce rassemblement aux dates prévues. L'événement est reporté au 13 juin 2021.

Sophie Etienne a quant à elle décidé du report de son spectacle de voltige. Elle l’a annoncé le lundi 20 janvier, préférant se concentrer sur « un spectacle vraiment bien préparé en 2021 » confie t-elle. Plus qu’un spectacle de fin d’année scolaire, l’édition 2019 avait été elle aussi un franc succès : des habitants de toute la région se sont pressées de venir assister à deux heures de voltige, de cirque, de danse et de rires. Certains retardataires se sont d’ailleurs vus refuser l’entrée, par manque de place. Sophie Etienne, la monitrice et organisatrice de l’événement, a travaillé d’arrache-pied toute l’année pour obtenir des sponsors, créer les chorégraphies, entraîner les voltigeurs et choisir les musiques. PJ a créé une billetterie en ligne devant l’affluence de demandes de réservations, dès le mois de décembre. Mais tout ces efforts sont réduits à néant, puisque l’édition 2020 devait se tenir le 3 et 4 juillet...

Ces deux événements auraient pu réunir de quoi soutenir les pertes dues à la période de confinement. Seulement, ils sont tout deux reportés. Le coup est dur et on ignore combien peut encore en encaisser le centre équestre de Pouzay, et plus généralement l’économie hippique.

Les centres équestres pendant le confinement: Texte

©2020 par SomeHorsesKnow. 

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